I-L’étendue de l’obligation de sécurité au sein d’un Centre Equestre
Un cavalier titulaire d’une licence auprès de la FFE a été victime d’une chute lors d’une leçon de CSO (saut d’obstacles) au sein d’un centre équestre auquel il était régulièrement inscrit.
Le cavalier a souffert d’une tétraplégie et de fractures cervicales. Il est malheureusement décédé des suites de ses blessures.
Son fils, ayant droit, a fait citer le centre équestre et son assureur, ainsi que la CPAM de la Drôme aux fins d’indemnisation des préjudices de la victime directe et de ses préjudices personnels.
Le tribunal judiciaire de Valence a cependant débouté le fils (ayant droit) de ses demandes. Il a interjeté appel de cette décision
I- Sur le cadre légal entourant les obligations respectives du centre équestre envers sa clientèle
La cour d’appel de Grenoble rappelle les dispositions de l’article 1147 du Code civil applicable en l’espèce:
« le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au payement de dommages et intérêts, soit à raison de l’inexecution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, toutes les fois qu’il ne justifie pas que l’inexecution provient d’une cause étrangère qui ne peut lui être imputée. »
II- Sur l’obligation de moyens renforcés incombant au centre équestre eu égard au niveau du cavalier
La cour d’appel de Grenoble va relever, contrairement au tribunal judiciaire de Valence qui ne retenait qu’une simple obligation de moyen, que: « (…)l’équitation est un sport dangereux, qui à ce titre permet de retenir à la charge du club équestre une obligation de moyens renforcée, même si cette obligation doit s’apprécier au regard du niveau du pratiquant, qui conserve un rôle actif. »
La cour d’appel de Grenoble relève donc dans un premier temps qu’un centre équestre est tenu à une obligation de moyens renforcés, position qui reste tout du moins pour le moment marginale et isolée.
Voir en ce sens: TGI de Millau du 19 novembre 2008 n°07/00293.
Cependant, cette obligation de moyens renforcés se conjugue avec une appréciation in concreto du niveau du cavalier.Il est sans doute possible de se fonder sur un faisceau d’indices comme le nombre d’années de pratique, les galops passés auprès de la FFE (de 1 à 7), la connaissance de la monture par le cavalier, ou encore l’adéquation des exercices proposés avec le niveau du cavalier.
L’obligation de moyen renforcé est favorable aux victimes, précisément car l’équitation est un « sport dangereux ».
Il est possible de souligner le fait que la cour d’appel de Grenoble indique que «le cavalier conserve un rôle actif ».Cette notion est davantage détaillée par la cour d’appel de Riom du 25 mai 2022 n°20/01755: « l’activité d’équitation est par nature une activité qui implique un rôle actif de la part des participants.»
Il est possible qu’il faille comprendre que plus grande est la connaissance et le niveau du cavalier en la pratique équestre, plus l’importance du rôle actif (sous entendu un rôle actif dans la prévention des risques, la prudence, la diligence et l’application des règles de bonne conduite à tenir) est élevée.
Voir en ce sens à propos d’une cavalière victime et non initiée: cour d’appel de Grenoble du 20 janvier 2015 n°12/01498.
L’appréciation par les juges est donc profondément casuistique.
Selon la cour d’appel de Grenoble, il appartient également au centre équestre de démontrer qu’il n’a commis aucune faute, notamment en ce que le moniteur présent lors de la séance n’a pas manqué à son obligation de prudence et de diligence. La charge de la preuve incombe au centre équestre.
En l’espèce, les exercices proposés au cavalier semblaient être en adéquation avec son niveau et la connaissance qu’il avait de sa monture.
Le centre équestre démontre selon la cour que son moniteur n’a pu être alerté «(…) ni par le comportement du cheval pendant les exercices, ni par une quelconque doléance de la victime(…) ».Dans ces conditions, il n’y a pas lieu selon la cour de relever une faute commise par le centre équestre.
Cependant, il est possible de s’interroger sur ce point étant donné que deux chutes sont intervenues au cours de cette séance, la troisième ayant été fatale pour la victime.
Le centre équestre se voit dégagé de toute responsabilité concernant ce tragique accident.
Il semble donc que le durcissement imposé par la cour d’appel de Grenoble s’agissant de l’obligation de moyens renforcés soit contrebalancée par la notion de rôle actif du cavalier au regard de son niveau de pratique.
Cour d’appel de Grenoble,2ème chambre 24 mai 2022
Lien provisoire vers doctrine:
https://www.doctrine.fr/d/CA/Grenoble/2022/CA3467035717B04190E37
II-Le contrat de dépôt et la nécessité de la preuve en droit équestre
Par cet arrêt du 6 mai 2022, la cour d’appel de Rennes a pu s’intéresser à la question de la preuve d’un contrat de dépôt en matière équestre.
En l’espèce, un propriétaire d’une jument poulinière a confié cette dernière aux fins de dressage à une gérante d’un centre équestre.
Ce même propriétaire reproche à la gérante et à son établissement d’avoir failli à leur obligation de garde et de restitution de la jument confiée. En effet, cette dernière a subi deux accidents et a du être euthanasiée.
Le propriétaire de la jument a assigné la gérante et l’EARL (l’établissement) devant le tribunal d’instance de Saint Nazaire en vue d’obtenir le paiement de dommages-intérêts.
Ce tribunal d’instance a déclaré irrecevable l’assignation délivrée à la gérante et a rejeté les demandes formées à l’encontre de l’EARL.
Le propriétaire a donc relevé appel de ce jugement en intimant uniquement l’EARL. Il demande à la cour de constater la recevabilité de son action concernant le contrat de dépôt ainsi que de condamner l’EARL au paiement d’une somme équivalente au prix d’achat de la jument au titre des dommages et intérêts.
Il demande également à la cour de condamner l’EARL au paiement de la somme de 2 000 euros à titre de dommages intérêts pour préjudice moral et de jouissance, ainsi qu’au paiement de la somme de 3 000 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile.
I- Sur le cadre légal entourant le contrat de dépôt
La cour d’appel de Rennes va rappeler les dispositions relatives au contrat de dépôt, étant donné que le propriétaire argue du fait qu’il s’agissait bien de ce type de contrat en l’espèce.
Il ressort: « qu’aux termes de l’article 1915 du code civil, le dépôt est un acte par lequel on reçoit la chose d’autrui, à charge de la garder et de la restituer en nature.
En application de l’article 1924 du même code, la preuve du contrat de dépôt doit être faite par écrit dans les conditions posées par les articles 1341 anciens et suivants du code civil lorsqu’il porte sur des meubles ayant une valeur supérieure à 1 500 euros. »
La cour d’appel de Rennes rappelle que ces textes prévoient qu’à défaut de preuve par l’écrit, celui qui est attaqué comme dépositaire est cru « sur parole », en ce qui concerne l’existence même du dépôt, la chose qui en faisait objet, ou sa restitution. Elle rappelle également que la preuve testimoniale n’est pas admise (le témoignage).
II- Sur la confirmation de l’absence d’écrit prouvant un contrat de dépôt entre le propriétaire de la jument et la gérante du centre équestre
La gérante a pu déclarer au premier jugement (Tribunal d’instance de Saint-Nazaire), qu’elle n’a jamais accepté la garde de l’animal, mais qu’elle s’est au contraire bornée à mettre à la disposition du propriétaire des terrains dont elle n’avait pas l’utilité.
Le contrat de dépôt n’était selon elle, pas démontré.
Le propriétaire quant à lui arguait du fait que la gérante entrainait la jument en vue de la préparer à la participation de concours.Ce dernier a indiqué qu’il était d’usage en matière équestre de ne pas rédiger de contrat, et que de ce fait, le contrat de dépôt était bien prouvé.
La cour d’appel de Rennes souligne qu’un contrat de dépôt devait être formé, par écrit, étant donné que la valeur de la jument est estimée à plus de 1500€.Un écrit aurait du être rédigé entre les parties, conformément à l’article 1924 du Code Civil.
La cour d’appel de Rennes en déduit donc que le premier juge avait exactement déduit que les dires de l’EARL devaient être crus sans nul besoin de rapporter des éléments de preuve supplémentaires.
L’enjeu pour le propriétaire se trouve être de démontrer que l’EARL avait une obligation de garde envers l’animal déposé, eu égard à un contrat de dépôt formé.
Cependant, la cour d’appel de Rennes soulève que le premier juge a exactement déduit que le propriétaire n’était aucunement en mesure de prouver quelque type de contrat que ce soit en faveur d’une obligation de garde de l’animal.
La cour d’appel de Rennes conforte également le premier jugement en ce qu’il indique que le propriétaire n’était pas placé dans une impossibilité morale en demandant à la gérante la rédaction d’un écrit prouvant le contrat de dépôt.
Dans ces conditions, le centre équestre se trouve être dégagé de toute obligation de garde et de restitution en nature à l’égard de l’animal, et tout dommage causé à ce dernier ne peut permettre d’engager la responsabilité de l’établissement.
Par conséquent, la cour d’appel de Rennes confirme le premier jugement du tribunal d’instance de Saint-Nazaire en ce qu’il rejette la demande du propriétaire tendant à engager la responsabilité de l’EARL au titre d’un contrat de dépôt.
Il ressort de cet arrêt qu’il demeure nécessaire pour un cavalier de rédiger un contrat de dépôt (plus connu dans le milieu équestre sous le nom de contrat de pension).
En effet, les textes concernant le contrat de dépôt sont non équivoques: ils imposent l’écrit concernant un contrat de dépôt lorsque l’objet déposé a une valeur supérieure à 1500€.
Sans preuve écrite du contrat de dépôt, les dires du dépositaire en défense sont considérés comme étant véritables, sans besoin qu’il ne les démontre.La preuve contraire n’est pas admise (par exemple la preuve testimoniale).
La cour d’appel de Rennes a cependant semblé laisser une voie à la démonstration par le propriétaire d’autres types de contrat que le contrat de dépôt, susceptibles de prouver l’obligation de garde à la charge de la gérante.
La prudence reste donc de mise pour les cavaliers souhaitant confier leurs équidés à un centre équestre. La rédaction d’un contrat de dépôt reste un moyen de preuve nécessaire pour prouver les obligations respectives des parties, et cet arrêt en est le parfait exemple.
Cour d’appel de Rennes,2ème chambre 6 mai 2022
Lien provisoire vers doctrine: